Après s’être intéressé à la longue agonie de Manchester United, est venu le temps d’analyser la forme de son penchant bleu ciel : Manchester City. Autrefois appelés les « noisy neighbours » par leurs rivaux, les Skyblues montent en puissance depuis le rachat du club en 2008. Manchester City a remporté plus de Premier League que n’importe quelle autre équipe depuis lors, et a signé un triplé historique en 2023.
Le 10 juin 2023, les joueurs l’ont fait : venant à bout de l’Inter de Milan dans une rencontre particulièrement anxiogène, Pep Guardiola met enfin la main sur l’El Dorado, la Ligue des Champions. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Roulant sur le championnat depuis des années, les Cityzens sont passés à un doigt de remporter la prestigieuse coupe européenne pour la première fois de leur histoire en 2021, perdant en finale contre une équipe serrée de Chelsea. Enchaînant encore sur un revers en demi-finale l’année suivante, Manchester City parvient finalement à décrocher un titre européen, devenant seulement la 6e équipe anglaise à remporter la Ligue des Champions depuis la création de la compétition, en 1955.
Le génie
Le facteur X du club mancunien, son entraîneur Josep Guardiola, dit Pep Guardiola. Arrivé à la barre de Manchester City au milieu de la saison 2016/17, il guidera l’équipe à un titre de Premier League à sa deuxième saison. La philosophie du Catalan se base sur un jeu de possession, et sur l’importance de chaque joueur dans la construction, à l’image du football total néerlandais des années 70.
La capacité d’adaptation de Pep Guardiola est absolument extraordinaire, tirant de la versatilité de ses joueurs. Durant la première moitié de la saison 2022/23, Manchester City a du mal à enchaîner des résultats réguliers et voit le titre s’échapper de ses griffes. Un problème pour Guardiola? Pas du tout.
S’inspirant des pistons dans un système 4-4-2, 3-5-2 ou 3-4-3, ceux-ci agissant à la fois comme des ailiers et un support défensif, Pep Guardiola réinvente le poste de John Stones, l’obligeant à renforcer le milieu de terrain aux côtés de Rodri quand l’équipe n’est pas en possession de la balle. Un 4 qui se transforme en 6, c’est une prise de risque énorme.
Qui aura pourtant porté fruit : Manchester City décroche son troisième titre de champions d’Angleterre consécutif à la 37e journée du championnat, alors qu’Arsenal avait occupé la première position du tableau durant plus de 90% de la saison.
Inévitables.
Guardiola qui doit composer avec les aléas du football est chose commune, et l’exemple de John Stones est loin d’être isolé.
Peu satisfait des performances d’Oleksandr Zinchenko, l’entraîneur de Manchester City reconvertit João Cancelo en défenseur gauche, lui qui occupait normalement le poste de défenseur droit. Un droitier sur le couloir gauche en défense, l’idée pourrait paraître complètement folle. Folle, mais géniale.
Cancelo excelle à ce poste, et sera régulièrement cité parmi les meilleurs latéraux gauches du monde, malgré qu’il ne joue habituellement pas sur ce couloir, faut-il le rappeler.
Constat similaire en attaque : durant la saison 2021/22, où Manchester City ne compte ni sur les services de Sergio Agüero, ni sur ceux d’Erling Haaland, Kevin De Bruyne occupe le poste de faux 9, et marque 15 buts en Premier League sans aucun pénalty tiré (une première depuis 2015, que les buts dépassent les passes décisives au compteur du Belge).
Ces exemples précis ne sont tirés que des trois dernières saisons, mais Pep Guardiola œuvre dans le milieu du coaching depuis plus d’une quinzaine d’années, surpassant à chaque occasion les limites de l’imaginable en football. Il perpétue l’héritage de Cruyff.
Exploit après exploit
Des records, Manchester City les collectionne comme un philatéliste accumule les timbres. Après sa première saison complète aux commandes du club, Pep Guardiola peut déjà se targuer d’être entré dans l’histoire du championnat, avec le titre du plus grand nombre de points amassés sur une saison de Premier League, en 2018. L’équipe sera surnommée les Centurions, en référence aux 100 points remportés en 38 matchs (32 victoires, quatre partages, et seulement deux petites défaites).
Le trio offensif tenace composé de Sané, Agüero et Sterling ira également chercher le record du plus grand nombre de buts inscrit en une saison de Premier League la même année, inscrivant 106 buts pour un ratio sensationnel de 2,8 réalisations par match.
Et la liste de records nationaux continue : plus grande série de victoires toutes compétitions confondues (21, de décembre 2020 à mars 2021), plus grand nombre de victoires de suite à domicile toutes compétitions confondues (23, de janvier à novembre 2023), plus grands nombres de buts inscrits sur une saison toutes compétitions confondues (169, en 2018/19).
Même au niveau individuel, City se retrouve sur un piédestal : Kevin De Bruyne détient le record du plus grand nombre de passes décisives délivrées sur une saison en Premier League, conjointement avec Thierry Henry, avec 20 assists en 35 matchs, tandis que le Norvégien Erling Haaland a inscrit 36 buts sur la saison 2022/23 de Premier League, soit plus que n’importe quel autre joueur passé par le championnat anglais depuis sa création, en 1992. Et le tout durant sa première saison disputée à Manchester, pour donner davantage de contexte à l’exploit. Un cyborg.
Si Manchester United pouvait ricaner sournoisement envers leurs rivaux en repensant à son année 1999, leur rappelant qu’ils n’avaient jamais réalisé le triplé comme a pu le faire la troupe de Ferguson, Manchester City a effacé le sourire de son voisin rouge écarlate en 2023. L’équipe a remporté la Premier League, la FA Cup et la Ligue des Champions, devenant la deuxième équipe dans l’histoire du football anglais à compléter le triplé.
Seul le record d’une saison entière sans défaite à son actif échappe encore à Manchester City, record détenu seulement par Arsenal et ses invincibles de 2004.
Peut-être un jour, qui sait?
Un effectif dense
Manchester City peut se reposer sur l’effectif le plus riche d’Angleterre, et ce depuis des années déjà. Outre une ligne défensive relativement stable, composée de Kyle Walker, Rúben Dias, John Stones et Joško Gvardiol (Nathan Aké et Manuel Akanji peuvent également avoir leur mot à dire), et les trois « indéboulonnables » du XI (soit Rodri, Kevin De Bruyne et Erling Haaland), aucun joueur n’est assuré d’occuper une place de titulaire indiscutable. Les options offensives sont vastes, si vastes : Julián Álvarez, Jérémy Doku, Jack Grealish, Bernardo Silva, Phil Foden, en plus d’ajouter les possibilités de Mateo Kovačić et nouvellement d’Oscar Bobb au milieu de terrain.
Chacun des joueurs cités pourrait aller chercher confortablement une place de titulaire dans n’importe quelle équipe du top 5 européen, mais chacun préfère se battre et montrer pourquoi il mérite de débuter le prochain match sur le terrain dès la première minute de jeu. Beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Le roulement de Pep peut être cruel, mais ô combien réfléchi pour pousser son joueur jusqu’à ses limites d’une performance individuelle parfaite.
Manchester City, à l’instar d’un club comme le Bayern de Munich, dépense beaucoup, mais dépense intelligemment. Alors que Sergio Agüero, réelle légende du club, est en perte de vitesse sur la saison 2020/21, Guardiola le pousse gentiment vers la porte de sortie pour acheter un joueur du même niveau, mais 12 ans plus jeune : Erling Braut Halaand.
Même histoire pour Vincent Kompany, le défenseur belge, capitaine du club pendant quasiment une décennie. Voyant ses performances peu à peu baisser en intensité, Guardiola renouvelle le poste de défenseur central en s’offrant Rúben Dias en 2020, qui deviendra une année plus tard le meilleur défenseur d’Europe, sans débat possible.
Écrire sa propre histoire
Un reproche grinçant revient souvent aux fans de Manchester City quant à leur équipe fétiche et sa philosophie : Manchester City est un « club plastique ». Il est vrai qu’avant le rachat du club par des actionnaires des Émirats arabes unis, Manchester City ne pouvait scander sa gloire sur tous les toits. Terminant régulièrement au bas du tableau du championnat anglais, les Skyblues ont même navigué jusqu’en troisième division, en 1998.
Mais comme Manchester United, dit un club historique, a forgé sa renommée dans les années 90, Manchester City est en train d’écrire son histoire depuis 10 ans. Les folles courses au titre contre Liverpool, le but victorieux de Sergio Agüero contre Queens Park Rangers F.C. à la 94e minute en 2012, la correction du grand Real Madrid en demi-finale de Ligue des Champions l’année dernière, à l’Etihad. Manchester City a offert au fan moyen un éventail d’instants iconiques, qui, dans 20, 30 ans, appartiendront à la légende.
L’argent guide le club et le guidera toujours, mais regardez le F.C. Barcelone, dépensant des centaines de millions dans le vide alors que la philosophie de l’équipe tournait autour de son centre de formation, regardez le Paris Saint-Germain, récente icône absolue dans le monde de la mode qui s’avère au final être un club encore plus superficiel que Manchester City.
Le football n’est plus le même, il a évolué et continuera dans cette direction.
Ne prenons pas Manchester City comme bouc émissaire.
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